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24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 20:47

neigeIl a neigé copieusement toute la journée.

Du coup, je n'ai pas eu très envie de sortir et j'en ai profité pour trier les affaires de Camille. Je me suis dit que j'allais mettre de côté ce que je pourrais donner à Pauline, mais en fait je n'ai pas pu "sauver" grand chose. Sur un carton entier de vêtements taille 6 mois, je n'ai trouvé que 5 ou 6 vêtements à lui donner pour son petit garçon. La moitié d'entre eux sont des vieux trucs que j'avais acheté pour Perrine.

Tout le reste est rose, à volants, à fleurettes, à broderies (plusieurs réponses possibles, bien sûr)... Même les jeans font définitivement "fille". Je n'ai pas choisi ces vêtements; on m'en a donné beaucoup, offert quelques uns, et j'en avais tellement que je n'ai rien acheté. Mais ça m'interroge. D'où vient cette mode d'habiller les filles en rose et les garçons en bleu ?

J'ai trouvé un début de réponse ici : en résumé, le rose et le bleu seraient l'atténuation du rouge et du bleu attribué aux adultes (le rouge / la vie, le bleu son opposé, à noter qu'au moyen âge c'était l'inverse, le bleu marial pour les femmes, le rouge belliqueux pour les hommes). Ou alors, cela viendrait de la tradition de vouer les enfants à la vierge pour qu'elle les protège, et donc de les habiller en bleu jusqu'à l'âge de 7 ou 8 ans. Cette pratique concernait plus souvent les garçons, perçus comme plus précieux (sic).

Notez que je n'ai rien contre le rose, c'est une jolie couleur qui flatte le teint et tout. Mais bon, d'où vient ce besoin de sexuer les bébés depuis leur plus jeune âge ? Est-ce qu'on ne peut pas les laisser grandir un peu en paix avant de leur faire endosser un rôle social prédéterminé ?

Dans les magasins, je trouve que tant au niveau des fringues que des jouets, c'est pire qu'il y a 10 ans (et encore j'avais été pas mal choquée à l'époque, déjà). combi.JPGJe revois encore la tête du vendeur de souris mini, où j'ai acheté une jolie combi bleu ciel et grise pour l'hiver prochain (après avoir décliné moyennement poliment l'affreux modèle violet et rose à fanfreluches qu'il m'avait proposé d'office) me dire : "mais c'est le modèle garçon !" comme si je venais de transgresser un tabou, ou d'écraser un chat, enfin je sais pas... Peut-être que si je l'habille en bleu, elle va se transformer en garçon, oh misère !

C'est un peu désespérant, cette façon dont les stéréotypes perdurent. On le sait pourtant depuis les années 70 que les réactions de l'entourage différent selon que le bébé est une fille ou un garçon, et que dès le début on contribue ainsi sans en être vraiment conscient à renforcer certains traits de caractères chez les unes et chez les autres. Je cite cet excellent article sur le déterminisme des sexes :

L'étude de Condry et Condry (1976) a demandé à un groupe de personnes de décrire le comportement d'enfants de 9 mois, habillé tour à tour en fille et en garçon, face à un diable à ressort. Face à une "fille", les témoins disaient que sa réaction face au jouet était la crainte et face au "garçon", ils parlaient alors de colère. Dans une seconde étude, le groupe d'adultes, face au garçon, encourageait ses activités et le poussait à être actif. Avec la fille, ils agissaient d'une manière plus impersonnelle et plus nourricière. Ces études ont également montré que les réactions peuvent être différentes en fonction du sexe des sujets et même celui du chercheur.
Une autre expérience a travaillé sur les réactions de 80 enfants (40 filles et 40 garçons entre 4 et 5 ans) face à une "fille" Susie et Judd un "garçon", créés par des techniques de morphing. On a ensuite fait arborer différentes expressions à Susie et Judd ; les filles ont eu tendance à voir chez Susie une expression de peur et les garçons une expression de dégoût pour Judd. Avec des expériences similaires, Karbon, Fabes, Carlo et Martin montrent que les enfants ont tendance à interpréter l'expression des femmes comme plus souvent tristes que celle des hommes ; ceux ci étant plus souvent considéré comme en colère. Dans des expériences où il fallait insérer des personnages dans des histoires, les filles étaient plus souvent mises dans des histoires concernant la joie ou la peur et les garçons la colère. Une autre étude montre combien les parents sont attachés à des stéréotypes liés au sexe de l'enfant ; il ressort que le caractère de filles est décrit plus péjorativement que celui des garçons. La fille a droit à la masculinité en ayant le droit de jouer à des jouets de garçons mais le garçon n'a pas le droit à la féminité. Beaucoup de parents restent convaincus que les différences sont génétiques.


Je ne vais pas vous décrire par le détail les catalogues de jouets de noël avec leurs pages filles pleines de poupées et leur pages garçons pleines de jeux de constructions, ni vous détailler comment même à l'école maternelle, les stéréotypes sont renforcés sans le vouloir, mais si on commence comme ça, la parité c'est pas encore gagné. Savez-vous que si les femmes gagnent toujours moins que les hommes à poste égal, ce n'est pas forcément par sexisme avéré de leurs entreprises, ou à cause du retard pris sur leur carrière pendant leurs congés maternité, mais parce que bien souvent, ELLES N'OSENT PAS DEMANDER UNE AUGMENTATION. Tout simplement. Ou postuler pour une promotion. Et elles continuent à assumer la majoirté des tâches ménagères et des soins apportés aux enfants. Parce qu'elles sont conditionnées depuis leur plus jeune âge. Et pire : elles continuent à conditionner leurs enfants.

Posez-vous la question la prochaine fois que vous devrez acheter quelque chose pour un bambin que vous aimez : dans quel monde souhaitez-vous le ou la voir évoluer plus tard ? Voulez-vous que cette petite fille devienne la parfaite ménagère ou une femme qui concourre à armes égales dans sa vie professionnelle ? Voulez-vous que ce petit garçon devienne un macho ordinaire ou un homme qui ait le droit d'exprimer ses émotions ?

Tous les jours, j'essaie d'enseigner à Perrine et Lucie qu'elles ne doivent pas s'auto-censurer. Que la féminité ne se mesure pas en longueur de cils et en hauteur de talons. Et que l'accomplissement suprême de leur vie, contrairement à ce que certains magazines voudraient leur faire croire, ce n'est pas de séduire le bellâtre du collège. D'ailleurs j'ai une mauvais nouvelle pour elles : le prince charmant n'existe pas.
Je veux que Camille exerce sont corps en toute liberté pour être en harmonie avec lui, que plus tard elle grimpe aux arbres sans avoir à se demander si elle ne va pas trouer son collant. Qu'elle courre sans être gênée par les volants de sa jupe, qu'elle saute à pieds joints dans les flaques sans bouziller ses chaussures vernies, qu'elle dévale la colline en roulant, qu'elle rentre toute crottée le soir, les yeux brillants et le sourire aux lèvres.
Je veux que mes filles ne se retrouvent pas enfermées dans le carcan de la beauté imposée à longueur d'affiches, de publicités et de conseils coiffure/maquillage/accessoires-must-have-de-la-saison dans la presse dite féminine. Parce que pendant qu'elles courrent les boutiques ou qu'elles se pomponnent, elles ne font rien de plus intéressant pour faire avancer le monde. Ou se faire avancer elles-même, d'ailleurs.

Attention aux stéréotypes. Ils se cachent partout. Dans les pubs de lessive, les filles se salissent en jouant avec le rouge à lèvre de maman, les garçons en apprenant à faire du vélo (re-sic). Dans les manuels scolaires, il y a le médecin et l'infirmière. Le cadre et la secrétaire. Au gouvernement, la parité n'a duré qu'un temps (et encore, en ne comptant pas les secrétaires d'état). Il y a encore du chemin pour se défaire des siècles de conditionnement passés et construire une société réellement égalitaire. Et ça commence avec nos enfants, et avec les modèles d'hommes et de femmes que nous leur offrons au quotidien.

Heureusement, il y a des initiatives pour promouvoir des représentations moins limitantes comme lab-elle, qui publie des listes de livres pour enfants qui sortent des clichés traditionnels.
 Et la meute veille. Restons en alerte nous aussi.

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